Le cri du cœur et d’urgence d’Alain Huart

Les pays du bassin congolais disposent encore à ce jour de la dernière grande forêt tropicale puits de carbone de notre planète ; des peuples autochtones et bantous y vivent depuis des siècles. « Ce livre, témoignage de 40 ans de chemins de découvertes au Congo Zaïre, leur est dédié », dit fièrement Alain Huart, l’auteur photographe qui a déjà publié de nombreuses publications consacrées à la RD Congo chez Weyrich.

La RDC a organisé un événement Pré COP et s’est récemment positionnée en force à la COP de Sharm El Sheikh. L’Afrique, dans son ensemble, avait exprimé des attentes fortes à cette COP africaine. Cependant elle a reçu peu de résultats concrets et surtout des promesses assez vagues… 

Alain Huart : C’est évident que la spécificité de l’Afrique, qui n’émet que 4% des émissions mondiales, n’a pas été sérieusement prise en compte à la COP. Or c’est le continent le moins préparé et le plus vulnérable au changement climatique et qui en subit déjà les effets les plus significatifs sur le plan de la sécurité alimentaire (sécheresses prolongées …). Jusque-là bon élève de l’atténuation, l’Afrique reste pauvre. Or la pauvreté, cela justifie des familles de 6 à 7 enfants pour faire face à de nombreuses corvées : à ce rythme de croissance démographique, le continent va atteindre 3 milliards d’humains en 2080. L’Afrique sub saharienne doit absolument concilier atténuation et développement, aller vers une transition énergétique avec des énergies propres, ce qui nécessite des grands financements. A ce jeu on voit des pays comme l’Indonésie obtient beaucoup plus d’argent. La Norvège a des accords avec l’Indonésie et donne aussi des appuis conséquents pour amener à la protection des forêts en Afrique ; les pays occidentaux en général font pression sur la RDC pour qu’elle sauvegarde sa forêt. Comme le dit le négociateur climat pour la RDC, Tosi Mpanu Mpanu : «  il est vraiment dommage que nous soyons de bons élèves en termes d’action climatique et qu’en même temps la pauvreté tue nos populations. Nous aurions des pays très verts et personne pour y vivre. La priorité des priorités pour les pays africains demeure la réduction de la pauvreté ».

L’Amazonie de Bolsonaro a été ravagée par la déforestation mais Lula revient ; il a été le chef d’Etat le plus suivi et le plus remarqué à la COP de Sharm El Cheikh ; il dessine une alliance sur le climat, un triumvirat des 3 pays possédant les plus grands bassons forestiers, Brésil & RD Congo, Indonésie. Or on apprend dans votre livre que la forêt du bassin fleuve Congo occupe la première place en tant que puits de carbone tropical de la planète ; comment est-ce possible ?

A.H. : C’est le seul puits de carbone tropical encore actif aujourd’hui. Le bassin du Congo bassin présente un flux net de 0,61 giga tonnes de CO² /an , quand l’Amazonie n’en représente que 0,1 gigatonnes, parce que les émissions liées à son agriculture intensive sont presque aussi élevées que la captation de CO² par la forêt encore intacte

Dans le bassin congolais, les arbres sont plus grands et plus vigoureux ; la forêt congolaise, est plus dense et plus profonde que l’Amazonie et il n’y a pas d’agriculture industrielle à grande échelle. Plus encore, elle possède dans des zones inondables, les tourbières de la planète les plus riches en carbone soit une machine naturelle à recycler le carbone, conçue et qui fonctionne depuis des millénaires…

Votre livre illustre très bien le fait que la principale cause de déforestation en RDC n’est pas l’exploitation forestière, ni les grandes cultures industrielles, mais le fait des populations qui brûlent et défrichent la forêt à la machette, ce que vous appelez « l’agriculture itinérante sur brulis ». Mais alors, si on ne remédie pas que va t’il se passer à d’ici quelques dizaines d’années ?

A.H. : Les forêts tropicales sont des énormes éponges qui créent la pluie ; si cette forêt disparait, il y a forcément baisse de pluviométrie, baisse de fertilité des sols par disparition des forêts galeries ; les sécheresses, au Sahel, dans la corne de l’Afrique, en Afrique de l’Est et du Sud, alimentent l’exode massif des campagnes vers les villes. Cet exode a lieu aussi en RDC : en raison de la pauvreté persistante, les jeunes considèrent qu’il n’y a pas de vie à construire en ce milieu rural non encadré, fait de pénibilité. L’émigration des campagnes vers les villes est un mouvement massif qui alimente une croissance urbaine anarchique ; cela crée et fait grandir des villes déconnectées des campagnes et dépendantes d‘importations alimentaires, Kinshasa compte déjà 17 millions d’habitants … Les nouveaux emplois y sont rares; déjà surpeuplées, ces grandes villes des pays en développement, ne peuvent tout absorber et accumulent chômage et le non-emploi. C’est alors que le désir d‘un avenir meilleur déclenche une autre migration, cette fois orientée vers l’Europe.  Cela effraie l’Europe : la peur de cette immigration massive, -et d’origine de plus en plus africaine vu la croissance démographique- alimente cette sensation de hordes d’envahisseurs qui fait le terreau fertile des extrémismes politiques du Nord, en Italie et jusqu’en Suède, de leaders populistes -voire d‘extrême droite- qui mobilisent leur électorat autour du sujet de « l’immigration » pendant que de nouvelles clôtures et murs s’érigent en cette forteresse (Europe)

Avons-nous la possibilité d’agir en amont ? Comment éviter cette accélération que l’on présume exponentielle des échanges migratoires entre l’Europe et l’Afrique qui comptera à 3,5 milliards de personnes en 2100 ?

A.H. : L’appui à l’Afrique pour une vraie émergence agricole selon ses spécificités et son autosuffisance alimentaire a été longtemps marginalisée et négligée dans les programmes de développement, parce que nous avions en Europe at aux Etats-Unis une agriculture subventionnée et compétitive générant de grands excédents susceptibles de soutenir des larges programmes d’aide humanitaires ; ensuite il y a eu le développement des cultures industrielles au Brésil et en Indonésie, et qui sont devenus les moteurs de déforestation les plus puissants… on voit aujourd’hui que toutes ces politiques mènent à une impasse pour la planète. La guerre Russie Ukraine met en lumière -et encore mieux que le Covid- le cout prohibitifs des transports de produits alimentaires de base et la fragilité des chaines logistiques. Aujourd’hui que notre agriculture intensive en pays développées est en crise profonde : il est maintenant clair que l’agriculture familiale, qui occupe la majeure partie de la population africaine, est la voie la plus efficace pour créer de l’emploi et stabiliser le monde rural. Déjà elle produit des aliments bio, surtout en RDC. Pour agir en amont et maintenir les populations rurales africaines en leur milieu, il faut un changement de paradigme; il bannir le mot « coopération » selon les usages de ces dernières décennies car  si tous les pays et bailleurs de fonds continuent d’agir en Afrique en ordre dispersé , tel que c’est largement le cas aujourd’hui, avec une mentalité de donneur de leçons, l’Afrique ne va pas avancer, elle-même victime de la corruption de ses élites; il faut mettre en avant les savoirs faires locaux, réinventer les collaboration Sud-Sud . L’agriculture familiale peut nourrir la RDC et créer de multiples emplois et richesses si elle est soutenue ». Combinée à la foresterie communautaire et à la finance carbone, des modèles agricoles sédentarisés sont une réponse appropriée pour développer la RDC.

La Belgique aurait une sorte de devoir, pour venir aider des communautés et peuples autochtones de la forêt du bassin fleuve Congo ? Où pourrions-nous agir avec le plus d’efficience, le plus d’impact ?

A.H. : Le bien-être de l’humanité se détermine notamment par cette nécessité d’aider intelligemment l’Afrique et le Congo à assumer ce défi ultime et urgent « sauver la dernière grande forêt tropicale ». Pourquoi la Belgique se détournerait d’un tel objectif ?

Cela donnerait un sens à l’action de la Belgique, un petit pays à l’échelle des émissions de CO², un minuscule pays en matière de forêts. En ces temps de prise de conscience croissante de la crise climatique, je propose en effet à la Belgique de se concentrer (aussi) sur un pays qui a fait notre passé, qui déterminera notre futur …

La solution est connue, même si elle est peu ou maladroitement mis en œuvre sur le terrain : stabiliser les peuples riverains qui ont su vivre en équilibre avec elle des siècles durant ; c’est une action complexe, qui commence par l’écoute, l’humilité, l’analyse des savoirs vernaculaires, ce que peu font à ce jour ; une telle action stabilisatrice ne peut se construire que par les populations elles-mêmes et par le plus grand respect des racines culturelles et savoirs vernaculaires. Nos jeunes diplômés et particulièrement les femmes qui vont aujourd’hui travailler en Afrique, démontrent ces qualités ; ils (elles) devraient être plus nombreux

La solution de planter des arbres est-elle à préconiser, est-elle suffisante ?

A.H. : L’action de loin la plus efficace, la moins couteuse et le plus urgente en Afrique centrale, c’est de protéger les forêts primaires encore existantes ; sans pratiquer le néo colonialisme vert ; sanctuariser la tourbière mais développer en périphérie des solutions agricoles innovantes et des modèles agricoles sédentarisés …

Développer la foresterie communautaire avec la population comme gardiennes des puits de carbone – et bien sûr les peuples autochtones pygmées, nombreux en RDC, est très prometteur; une loi vient d’être promulguée en leur faveur à Kinshasa… Il y a aussi la régénération naturelle soit aider la foret a se reconstituer par elle-même, contrôler les feux ; la pratique se répend en RDC et fait l’objet de paiements pour services environnementaux aux communautés…

Vous dites que la nature est beaucoup plus efficace que l’homme pour créer et maintenir une forêt…

A.H. : La forêt ici, en Sibérie ou dans le bassin du Congo n’est pas comparable en termes d’efficacité climatique et de biodiversité : un ha de tourbière au Congo représente 1350 tonnes de carbone ; 1 ha forêt équatoriale correspond à 330 tonnes de carbone ; comparativement, 1 ha de forêt européenne correspond 38 t à 44 t pour la partie aérienne ; on atteint 120 tonnes/ha si l’on compte le carbone dans le sol…

Le fait d’accompagner des communautés locales dans un processus légal qui concerne leurs forêt, constitue une prévention et résolution de conflits inter communautés par la délimitation des terroirs par les communautés et de façon participative ; les limites sont connues & partagées avec les communautés voisines ; des ressources que contiennent cette forêt sont inventories et connues; une meilleure connaissance collective des limites par tous les acteurs émerge en vue de réduire des usages illégaux ; alors, la foresterie communautaire constitue un vrai projet de la communauté structurée avec un comité démocratique et représentatif autonome ; cette instance démocratique et représentative est un espace d’échanges, de dialogue, d’orientation, de décision et de suivi . Le processus de forêt communautaire sert de support à des appuis de partenaires pour la fourniture de matériel semencier agricole en application de l’agriculture sédentarisée -plantules palmier, café, cacao – permet d’installer avec les communautés, des contrats PSE (paiements pour services écosystémiques) en appui à l’implantation de ces cultures sédentarisées ;

La RDC est-elle crédible sur le plan scientifique ?

A.H. : A Yangambi, Province de la Tshopo, à 1740 Km de Kinshasa, au cœur de la forêt congolaise, il y a ce nouveau « Pôle de sciences » que la RDC développe avec l’appui de ses partenaires européens et belges : sa tour à flux Yangambi mesure CO² / CH4, documente les échanges entre la canopée et l’atmosphère ; des données scientifiques de premier plan crédibilisent les arguments de la RDC ; c’est bien décrit en photos et images dans mon livre

Et la gouvernance ?

A.H. : Tout le monde dit que c’est ce qui fait défaut en RDC pour protéger la forêt il faut cibler les communautés de base, et alors la gouvernance locale participative devient un élément essentiel. Les institutions communautaires comme le comité local de développement doit disposer de l’autonomie nécessaire pour prendre des décisions localement appropriées concernant l’exploitation des ressources naturelles collectivement détenues en tant que biens communs, donc ce qui concerne les règles de gestion, les sanctions et en finale les modalités de partage des bénéfices. Nous devons aider à constituer un réseau efficient de capitalisation et échanges de ces savoirs et appuyer des institutions locales et lycées agricoles en charge de la formation de la jeunesse.

La difficulté à recevoir des financements n’est-elle pas liée à la méfiance des pays les plus industrialisés quant à leur utilisation par les États africains ? Les outils, coop nord Sud ; RDC premier pays de la cop bilatérale belge depuis 30 ans ; qu’en dites-vous ?

Pour améliorer la capacité d’absorption des fonds, il faut avoir de bons projets. Pour y parvenir, la RDC a besoin d’être appuyée. Si c’est le cas, la RDC ne pourra absorber les ressources financières qui sont mobilisées au niveau international et qui ne sont pas du tout suffisantes jusqu’à présent. Les outils financiers du monde d’aujourd’hui et liés au climat et à la finance carbone, doivent atteindre les communautés locales et de peuples autochtones, pour leur permettre enfin de renverser le processus de dégradation de leurs terres et forêts, d’arrêter la perte de la biodiversité et de se procurer des gains socio-économiques durables tout en préservant ces patrimoines naturels de leurs terroirs. L’Europe dispose de l’expertise qui fait cruellement défaut à l’Afrique mais cette expertise ambivalente ( celle des multinationales, celles des institutions de développement) qui se déploie de façon biaisée, disparate, maladroite (sans vision harmonisée), fait courir le risque de naufrage de l’Afrique au moment où ce continent sera le plus peuplé, avec des conséquences inouïes quant au déplacement massif de populations. Il n’est pas encore trop tard pour redessiner un partenariat plus équitable et plus durable. Des actions plus efficientes et plus durables sans paternalisme, nécessitent la prise en main effective par les communautés locales et des peuples autochtones de leur propre destin et terroirs, à la gestion de leurs ressources naturelles… et leur suivi -pérennisation- par une gouvernance participative et représentative des communautés ; sur base de la gestion des forêts communautaires et l’agriculture sédentarisée…. Des échanges nord-sud et sud-sud intensifiés sont nécessaires pour comprendre, développer le dialogue, ouvrir la porte a plus d’opportunités pour expliquer sans jeu déloyal. La question est : comment aider, pour garantir l’accès aux actuels et futurs bénéfices « carbone » de leur forêt de leur plantations, de leur agriculture sédentarisée ?

« Congo, peuples et forêts »  de Alain Huart est disponible en librairie et sur notre e-shop :